Bien sûr, il y a les dispositions, annoncées avec fracas, que tout le monde attend et que l’on ne peut que saluer, telle la baisse du taux de l’impôt des sociétés et le soutien fiscal à l’innovation et à l’investissement.
Bien sûr, il y a cette volonté sincère de redevenir un pays fiscalement attractif, ne fut-ce que pour rester compétitif par rapport aux pays voisins.
Qui s’en plaindra ? Qui ne se réjouira pas ?
Mais soulevons discrètement le voile et analysons avec plus d’attention ce qui se passe depuis quelques années. Le constat devient tout autre. Amer. Effrayant même.
Les grands inquisiteurs de la « fiscalité juste », de la nécessaire « vertu fiscale » sont de retour !
De manière imperceptible, progressive, mais avec une redoutable efficacité, l’administration fiscale et les gouvernements (de gauche comme de droite) qui se succèdent ne cessent de moraliser les contribuables, de dénoncer et sanctionner toujours plus fort ce qui jadis relevait jadis du libre choix de la voie la moins imposée, mais qui aujourd’hui constitue une ignoble pratique, un abus fiscal manifeste. C’est à présent le règne de la suspicion et cela se traduit par de nouvelles dispositions fiscales (passées et à venir) fort désagréables.
Vous en doutez ? Quelques exemples (parmi des dizaines) pour illustrer notre propos.
Vous souhaitez créer une société pour bénéficier du futur taux réduit à l’impôt des sociétés. Voilà une initiative fort malvenue ! Il faudra dès 2018 que votre société vous octroie une rémunération (bien entendu soumise au précompte professionnel) d’au moins 45.000 EUR pour vous autoriser à bénéficier de ce graal fiscal. A défaut, la sanction est double : perte du taux réduit et cotisation de 10 % sur la différence entre la rémunération payée et ce montant minimal de 45.000 EUR. Pourquoi cette sanction ? C’est, cher Monsieur, qu’il faut se méfier de ces milliers d’indépendants et professions libérales qui n’ont pas la décence de subir l’impôt des personnes physiques mais veulent passer en société. Quel toupet.
Vous souhaitez réduire le capital libéré de votre société, c’est -à-dire votre mise de départ et le faire en toute exonération ? Ce n’est pas du tout éthique car de la sorte vous retirez des liquidités de votre société sans vous acquitter du moindre écot fiscal. Le bâton est déjà là : si votre capital se compose de réserves (taxées ou immunisées) qui y ont été incorporées, il sera présumé que la réduction de capital se fera de manière proportionnelle, et donc un précompte mobilier vous attend au passage. Auparavant il était parfaitement normal de récupérer sans impôt les fonds apportés à sa société. A présent, il est question d’abus fiscal. Comprenne qui pourra.
Vous souhaitez apporter des titres à une société holding ? Cette holding n’est pourtant pas principalement un véhicule fiscal mais se justifie pour des raisons financières, économiques ou familiales. Qu’importe. Le capital de la holding en contrepartie de cet apport devient un « mauvais capital » au sens fiscal, à savoir un capital formé de réserves taxées. Partant, toute réduction de capital ultérieure se voit ici aussi pénalisée car elle est accompagnée d’un précompte mobilier de 30% à payer. C’est la notion même d’apport en société qui est ici bafouée, avec en plus cette idée sous-jacente qu’une holding est une structure nocive et un outil fiscal trop agressif. Une récente mesure anti abus vient d’ailleurs d’empêcher toute déduction R.D.T. sur les dividendes perçus par une holding si cette déduction est motivée par des raisons (un peu trop) fiscales.
Vous disposez d’une société de management et le fisc entend remettre en cause la hauteur et la réalité des prestations de gestion déduites par la société qui les a payées. Il vous faudra, pour échapper à ce climat de suspicion, pour éteindre la méfiance du contrôleur, apporter la preuve de la réalité des prestations accomplies. Et que pleuvent les time sheets, les copies des carnets d’agenda, les courriels, les preuves de vos déplacements, les PV de réunion, … Il vous faut vous justifier comme un gamin pris la main dans le pot de confiture. « Car cher Monsieur, créer une société de management cela ne se fait plus de nos jours, ce n’est pas très moral ». D’où cette exigence probatoire. Voilà qui est absurde quand on sait le temps et l’énergie déployée par un dirigeant d’entreprise pour développer et pérenniser son entreprise.
Vous espériez déduire anticipativement des charges, tel un loyer dont le montant est certain et qui porte sur les années à venir. Plusieurs arrêts et jugements ont d’ailleurs statué en votre faveur, considérant que seule importe la démonstration d’une dette certaine et liquide. C’est désormais interdit car « trop agressif fiscalement ». Dès 2018, le principe fiscal de correspondance des produits et des charges sera désormais appliqué pour les frais prépayés et d’une manière générale transposé en matière fiscale, ce qui heurte au passage l’esprit et le texte de l’article 49 du code des impôts sur les revenus. Mais il n’est plus de bon ton de réduire légalement la base imposable. Cela ne se fait plus.
S’agissant précisément des frais professionnels, l’administration fiscale qui ne se prive pas de taxer les revenus lorsque ceux-ci sont issus d’une activité illicite a en revanche plus de peine à admettre que l’on puisse déduire des charges professionnelles lorsqu’elles reposent sur un comportement illicite. Deux poids deux mesures. A notre connaissance, la moralité d’une dépense ne figure pas parmi les conditions de déduction des charges professionnelles inscrites à l’article 49 du CIR. La Cour de cassation, gardienne du droit, l’a d’ailleurs rappelé récemment.
Ces quelques exemples traduisent à notre sens une tendance nouvelle, une posture récente qui pose question et qui, de surcroît, crée un profond malaise. Sous couvert de dénoncer des abus c’est notre comportement que nos élus et le fisc cherchent à infléchir. La taxation d’une opération, quelle qu’elle soit, devient la norme. Cet exercice de culpabilisation du contribuable, cette dénonciation constante d’opérations pourtant parfaitement légales d’évitement de l’impôt, est profondément insupportable. Doit-on s’attendre un jour à création d’un organe administratif chargé d’examiner nos pêchés fiscaux, dirigée, comme au temps des Espagnols, par un Grand Inquisiteur statuant sur ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas ?
Osons nous insurger. Faut-il rappeler qu’une bonne gestion fiscale n’est jamais condamnable. Il faut maintes et maintes fois réaffirmer le droit à l’optimisation fiscale, à savoir le droit pour un contribuable d’opter, entre deux voies, pour celle qui lui permet d’économiser des impôts. Nier ce principe c’est nier un Etat de droit, c’est ôter la liberté aux citoyens, leur droit de poser des choix. Notre démocratie mérite mieux que cette moralisation tendancieuse et cette dictature des nouveaux censeurs fiscaux.