« Déshabillez-moi, déshabillez-moi ; Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite ». Hymne à l’amour de Juliette Gréco ? Nullement ! C’est le cri de du désespoir du pauvre contribuable belge qui, d’année en année, voit ses maigres avantages fiscaux fondre comme la banquise arctique.
En moins de cinq ans, la diminution de nos réductions d’impôts n’a jamais été aussi forte. Cette progressive disparition, savamment orchestrée par un législateur fédéral et un législateur régional agissant de concert, s’est toutefois faite en douceur, anesthésiant peu à peu le citoyen qui se trouve aujourd’hui dénudé. Comme dans la chanson de Gréco, le tout s’est fait souvent « avec délicatesse, en souplesse, et doigté, en choisissant bien les mots ». On reste admiratif devant un telle prouesse, la palme d’or revenant au législateur wallon.
Vous doutez de la pertinence tels propos. En voici la démonstration.
Première manifestation de ce « détricotage », et non des moindres, la réduction d’impôts fédérale pour toutes les dépenses permettant d’économiser l’énergie fut supprimée à parti de l’exercice d’imposition 2014 (c.-à-d. pour les dépenses payées en 2013) sauf celle pour l’isolation de la toiture. Adieu, les incitants fiscaux liés aux investissements dans du double vitrage, dans de nouvelles chaudières, de nouveaux panneaux photovoltaïques ou dans un audit énergétique. Une belle mesure fiscale permettant aussi de doper les secteurs concernés est ainsi abandonnée.
Autre disposition, subtile mais perverse, de la loi du 13 décembre 2012 portant des dispositions fiscales et financières : la transformation de l’avantage fiscal en une réduction d’impôt pour toute une série de dépenses. La réduction d’impôt se déduit donc de l’impôt à payer et non de la base imposable. Les dépenses dont la réduction est remplacée par une réduction d’impôt de 45% sont les libéralités et les dépenses pour garde d’enfants. Les dépenses dont la réduction est remplacée par une réduction d’impôt de 30% sont les rémunérations attribuées aux employés de maison et pour l’entretien et la restauration des monuments et sites classés. Apparemment, la mesure qui permet d’obtenir directement une diminution de l’impôt à payer semble séduisante. En réalité, elle pénalise nombre de ménages ayant des revenus moyens (à partir de 37.870 pour l’exercice d’imposition 2016). Si l’on suppose un taux marginal de l’ordre de 54 % (additionnels compris), l’écart entre la nouvelle réduction et l’avantage résultant d’une déduction fiscale de la base imposable au taux marginal est de l’ordre 22% pour les déductions remplacées par une réduction d’impôt de 45% et de 5,5% pour les déductions remplacées par une réduction d’impôt de 45%.
On assiste donc de manière évidente à un alourdissement de la charge fiscale.
Depuis l’exercice d’imposition 2016 (sixième réforme de l’Etat oblige), les Régions ont pris leurs propres initiatives en matière de « réductions d’impôt transférées ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont mis guère de temps pour nous dépouiller. En Flandre et en Wallonie, les réductions d’impôt relatives aux dépenses destinées à sécuriser une habitation contre l’effraction ou le vol ont purement et simplement été supprimées. La Région wallonne limite très fortement les avantages relatifs au titres- services. Par une formule d’une complexité déconcertante et dont elle a le secret, nos élus wallons ont fait plonger l’avantage fiscal de 1410 EUR maximum à …135 EUR. Quelle misère ! Lui emboitant le pas, La Région de Bruxelles, par une Ordonnance du 18 décembre 2015, plafonne la réduction d’impôt à 211,50 EUR par contribuable pour de tels titres-services. Cette même Région Bruxellois diminuera cinq réductions d’impôt à partir de l’exercice d’imposition 2017. Une belle surenchère entre nos Régions !
Mais c’est évidemment en matière de fiscalité immobilière et de réductions d’impôt liées aux emprunts hypothécaires que l’effilochage est le plus grand. Passons sur les modifications législatives successives intervenus en la matière depuis 2014 que plus personne ne parvient à comprendre (le cadre IX de la déclaration IPP formant un modèle du genre en matière de surréalisme à la belge) et arrêtons-nous sur la dernière œuvre législative de cet été : le décret de la Région Wallonne du 2 juillet 2016 relatif à l’octroi d’un avantage fiscal pour l’acquisition de l’habitation propre. Bref ce que l’on nomme pompeusement le Chèque Habitat. Le législateur wallon nous dévoile ici tout son art dans la technique maitrisée de désintégration de tous les avantages fiscaux consolidés au fil des décennies. Le tout en nous donnant l’illusion de n’être pas trop perdant. Le chèque habitat, véritable chèque en bois, concerne les contrats d’emprunt hypothécaire conclus à partir du 1er janvier 2016 (exercice d’imposition 2017). Il enterre à jamais la fameuse déduction pour habitation propre et unique. Première entaille au régime antérieur, seules les acquisitions d’immeubles donnent encore droit à la rédaction d’impôt, à l’exclusion désormais des travaux de rénovation ou de transformation (les entreprises opérant dans cette activité immobilière apprécieront…). Deuxième entaille, la réduction d’impôt n’a plus qu’une durée limitée de 20 ans et est réduite de moitié après 10 ans. Troisième entaille, la réduction d’impôt est aussi réduite de moitié dès l’année ou le contribuable a la très mauvaise idée d’acquérir un second immeuble, Enfin quatrième entaille (la pire) les montants des avantages, qui pour l’exercice d’imposition 2016, pouvaient atteindre 3130 EUR par contribuable) font une chute significative et se déterminent désormais comme suit :
1° lorsque le revenu imposable de la période imposable n’excède pas 21.000 euros, la réduction d’impôt est égale à 1.520 EUR (qui devient le nouveau maximum) ; 2° lorsque le revenu imposable de la période imposable est supérieur à 21.000 euros sans excéder 81.000 euros, la réduction d’impôt est égale à 1.520 euros diminués d’un montant équivalent à la différence entre le revenu imposable et 21.000 euros multipliée par le coefficient de 1,275 pour cent.
La chèque habitat est donc un chèque à bêtas, devrait-on dire. Faut-il en rire ou en pleurer ?
Quand on sait l’importance du renouvellement de l’habitat wallon et la nécessité de le mettre rapidement aux nouvelles normes environnementales, cette orientation fiscale du Gouvernement wallon, qui s’ajoute au regrettable abandon des incitants fédéraux pour des travaux économiseurs d’énergie, est non seulement un manque de vision évident, mais elle est aussi une erreur historique.