Lorsque l’immeuble appartenant à une société est occupé totalement ou partiellement par le dirigeant à des fins privées, ce dernier est soumis à un avantage en nature.
Jusqu’il y a peu, cet avantage de toute nature était fixé comme suit : RC x 100/60 x 3,8 (si RC > 745 EUR) x 5/3 (si l’habitation est meublée). Ce facteur de multiplication de 3,8, introduit par le Gouvernement Di Rupo pour des raisons strictement budgétaires n’a pas manqué de susciter l’indignation de nombreux contribuables et des professionnels du chiffre, tant il a pour effet de rendre bien souvent cet avantage disproportionné au regard de la valeur locative des biens immobiliers.
La jurisprudence s’est aussi emparée de cette question et statué que l’évaluation plus élevée dans le cas où l’immeuble est mis à disposition par une personne morale est contraire au principe d’égalité garanti par la Constitution et cette évaluation plus élevée ne pouvait donc pas être appliquée.
De manière étonnamment rapide, le Ministre des Finances s’est incliné sans trop sourciller face à cette jurisprudence.
Par une circulaire (circulaire 2018/C/57 du 15 mai 2018), son administration a en effet indiqué que, dans l’attente d’une modification légale, elle ferait application de l’évaluation forfaitaire la plus favorable (100/60 du RC indexé sans appliquer de coefficient multiplicateur).
Depuis lors, il semble que les dernières évolutions fassent porter à 200/60 du RC cette évaluation. On parle d’un prochain arrêté royal en ce sens d’ici la fin de l’année.
Quoi qu’il en soit, cette diminution drastique de ce coefficient multiplicateur par rapport au coefficient initial de 3,8 constitue une victoire pour tous les dirigeants ayant mis leur immeuble en société.
Mais n’est-ce pas une victoire à la Pyrrhus ?
En effet, cette concession sur le front de l’avantage de toute nature ne cache-t-elle pas une volonté cachée de s’en prendre davantage à la déduction des charges relatives à l’immeuble en société en s’emparant de manière systématique de la fameuse (ou plutôt fumeuse) théorie de la rémunération.
Il est en effet fort vraisemblable que l’administration, se sentant à présent lésée de ne pouvoir taxer suffisamment le bénéficiaire de cet avantage de toute nature, se livre à une analyse beaucoup plus approfondie de l’affectation de l’immeuble et de sa réelle utilité pour la société.
On risque bien de voir le fisc exiger de manière récurrente que la rémunération en nature (sous forme de mise à disposition gratuite d’un immeuble) nécessite pour contrepartie des efforts consentis, des prestations régulières non contestables. Et que si cette preuve n’est pas fournie, les déductions de charges immobilières postulées risquent bien de fondre au soleil
Les décisions rendues par les juges du fond sont d’ailleurs assez favorables à cette prise de position et rappellent en effet que :
- La seule mention d’un avantage de toute nature sur une fiche de revenus ne suffit pas à démontrer que les frais ont pour contrepartie des prestations effectives. Un contribuable ne pourra donc se retrancher derrière la seule taxation de l’avantage de toute nature pour considérer ipso facto que la société peut déduire tous types de charges qui ont contribué à la formation de cet avantage de toute nature. Le lien entre une imposition et une déduction n’est donc pas un critère suffisant.
- C’est au contribuable qu’il incombe de prouver la réalité des prestations effectives et non à l’administration à démontrer l’absence de prestations effectives. Cette preuve n’est pas apportée d’après de nombreux juges.
- La théorie de la rémunération ne permet pas que, sous le couvert de prestations effectuées par un dirigeant, des dépenses de nature personnelle soient purement et simplement prises en charge et déduites par la société. Les dépenses doivent en tout état de cause répondre aux exigences de l’article 49 du C.I.R. 92. Ainsi, à défaut de prouver que les conditions de l’article 49 du C.I.R. 92 sont remplies, l’administration peut toujours rejeter les frais afférents à la partie privée de l’habitation.
Donner pour mieux reprendre. N’est-ce pas un grand classique en matière de politique fiscale ? L’histoire récente nous a suffisamment prouvé que lorsque l’administration fiscale belge se voit contrainte de faire une concession, on doit s’attendre à un sérieux retour de manivelle
Baisse du taux de l’impôt des sociétés ? Oui mais voici que surgit la rémunération minimale du dirigeant portée à 45.000 EUR et l’application d’une cotisation distincte nouvelle de 5%…
Report illimité des R.D.T. (suite à l’arrêt de la CJUE Cobelfret) et déduction 100% des R.D.T. ? Oui, mais voici qu’apparait le refus de toute déduction R.D.T. si une holding peut être qualifiée par le fisc de « montage non authentique » (nouvelle mesure anti-abus contre les holdings) …
Réduction du taux de la cotisation distinctes sur dépenses non justifiées (commissions secrètes) de 309 % à103 % ? Oui, mais voici que la loi du 25 décembre 2017 portant réforme de l’impôt des sociétés prévoit qu’à partir de 2020, la cotisation distincte sur les commissions secrètes ne sera plus déductible…
Etc…
Il n’y a jamais de cadeau fiscal. Il n’y a qu’un bref moment de répit fiscal.
Frédéric Dard l’avait bien compris lorsqu’il s’exclamait : « Pourquoi est-ce qu’en matière d’impôts une légère augmentation vous coûte 100 euros alors qu’une réduction substantielle vous en fait gagner 5 ?».