1. Introduction.- Par un addendum[1] à la circulaire du 1er décembre 2010, l’administration fiscale a, fin décembre 2011, assoupli quelque peu sa position en matière d’application des cotisations spéciales de 309 % sur commissions secrètes. D’une part, elle instaure une période transitoire jusqu’au 30 juin 2012, et, d’autre part, elle précise les cas dans lesquels il pourra être tenu compte de certaines tolérances administratives si un contribuable (de bonne foi ou par erreur) n’a pas repris certains avantages sur les fiches requises. Nous exposons de manière synthétique ces deux volets de cet addendum, les illustrons à l’aide d’exemples concrets et dégageons les conséquences et obligations qui en découlent pour les experts comptables et conseils fiscaux.
2. Description du régime transitoire.- L’addendum opère concrètement une double distinction. Il prévoit d’abord un régime transitoire selon que des contrôles ou des régularisations sont effectuées avant ou après la date du 1er juillet 2012. Il établit par ailleurs une distinction entre les avantages de toute nature dont la valeur est évaluée forfaitairement, tels que ceux visés à l’article 18 de l’AR/CIR ou résultat de mise à disposition d’un GSM (les avantages de première catégorie) et les autres avantages (de seconde catégorie).
Pour les avantages non déclarés de la première catégorie (par exemple ceux qui résultent de la mise à disposition gratuite d’un immeuble, d’une voiture de société, d’un PC ou de la fourniture de chauffage ou d’électricité) et qui apparaitraient lors d’un contrôle entamé avant le 1er juillet 2012, l’administration acceptera de renoncer à la cotisation sur commissions secrètes, à condition qu’ils puissent être réellement imposés dans le chef des bénéficiaires dans les délais légaux.[2]
Les avantages de la seconde catégorie (par exemple des séjours de pure villégiature aux frais de la société du dirigeant ou du travailleur qui en bénéficie, des cadeaux reçus d’un fournisseur ou d’un client, etc.) échapperont à la cotisation spéciale si ces avantages font l’objet d’une déclaration spontanée avant le 1er juillet 2012 de la part de la société ou de la personne morale qui les a attribués. A compter du 1er juillet 2012, ces tolérances n’existeront plus et l’administration fiscale pourra appliquer la cotisation spéciale sur commission secrètes à tous les avantages qui n’auraient pas été mentionnés sur une fiche dans les délais requis, sous la seule réserve des « tolérances administratives ». [3]
3. Les tolérances administratives.- Conscient de la nécessité de ne pas gonfler inutilement le contentieux administratif mais aussi de ne pas engorger les tribunaux, l’administration précise ensuite, à la fin de son addendum, qu’elle pourra renoncer, même au-delà du 1er juillet 2012, à la perception de la cotisation sur commissions secrètes si un contribuable qui a commis le manquement ou l’erreur sera « de bonne foi »[4], si le défaut de déclaration est exceptionnel ou d’importance relative ou encore lorsque subsisteront des « divergences d’interprétation quant à la nature d’un avantage social ».
Cette dernière tolérance vise par exemple l’hypothèse suivante : un cadeau est accordé à un travailleur en raison de son ancienneté mais, selon le contrôleur, il ne peut être qualifié d’avantage social car sa valeur est trop importante. Pour un tel avantage, le contrôleur ne pourrait infliger de cotisation distincte. D’une manière générale, l’idée est qu’une infraction ponctuelle ou d’un montant modique devrait échapper aux foudres de l’administration.
Reste évidemment à savoir si les contrôleurs feront un réel usage de ces tolérances et n’auront pas une regrettable propension à voir derrière chaque avantage non déclaré un indice de mauvaise foi. En conclusion, il nous parait que, en dehors des cas où l’omission des avantages présente un caractère systématique ou des cas de fraude manifeste (chiffre d’affaires non déclaré, salaires au noir, etc.) et dans la mesure où le contrôleur a toujours la possibilité de procéder à la taxation des avantages dans le chef des bénéficiaires, on pourra encore espérer de la part de l’administration une attitude conciliante.
4. Les obligations et la responsabilité de l’expert-comptable et du conseil fiscal.- Ces nouvelles directives imposées par l’administration fiscale et que nous venons d’exposer imposent aux professionnels du chiffre de faire désormais preuve d’une plus grande vigilance dans la gestion des dossiers fiscaux de leurs clients. Il leur appartient, d’ici les 30 juin, de régulariser les avantages non déclarés afin d’éviter à leurs clients les pires désagréments fiscaux. Il leur incombe aussi d’aviser ces derniers de l’existence de dépenses à charge de leur société qui sont susceptibles de tomber sous le coup de cotisation spéciale.
Certains auteurs[5] se sont inquiétés de la situation fort difficile dans laquelle se trouvent à présent placés les comptables et conseils fiscaux : ils sont tenus de respecter ces nouvelles obligations de régularisation mais, de la sorte ils peuvent inciter l’administration à sonder plus intensément la déclaration fiscale de leurs clients (les comptables et fiscalistes seront-ils atteints un jour de « schizophrénie fiscale » ? ). Il n’empêche que tout manquement à ces obligations ci-avant exposées qui serait commis par un expert-comptable ou un conseil fiscal est, faut-il le rappeler, de nature à engager sa responsabilité au sens du droit civil. La faute contractuelle d’un tel professionnel s’apprécie en effet sur les critères de prudence et de de diligence tels que puisés à l’article 1137 du code civil (« culpa levis in abstracto »).[6]
Comme le précise à cet égard l’article 3 de loi du 22 avril 1999, un expert-comptable ou un conseil fiscal se doit d’être « un spécialiste qui, de par son titre, offre toutes les garanties requises au point de vue de la compétence, de l’indépendance et la probité professionnelle». Il s’ensuit qu’il ne pourrait, dans ce contexte, se soustraire à l’obligation d’avertir son client des risques fiscaux liés à l’imminence d’une telle cotisation spéciale et, en conséquence, de la nécessité d’opérer les régularisations imposées par ces nouvelles directives administratives.
[1] Addendum du 23 décembre 2011 à la circulaire CI.RH. 421/605.074 (AFER 71/2010) du 1er décembre 2010.
[2] Il est donc totalement exclu de régulariser ces avantages par la seule déclaration de ceux-ci en dépenses non admises ou par une comptabilisation au débit du compte courant.
[3] On précisera, comme le fait d’ailleurs l’addendum, qu’aucun avantage n’est imposable lorsqu’il est comptabilisé au débit du compte courant du bénéficiaire pendant l’exercice comptable au cours duquel il est octroyé (inscription a priori du compte courant). Ce qui en revanche n’est plus accepté est l’attitude qui consiste à attendre la survenance d’un contrôle fiscal pour inscrire l’avantage en compte courant (inscription a posteriori).
[4] Cette notion de bonne foi n’est pas neuve car elle était déjà admise par le Ministre des Finances, en réponse à une question parlementaire du 9 novembre 2011 qui annonçait l’addendum (QP n° 6767 du représentant V. Wouters).
[5] Jan Van Dyck écrivait à ce propos dans le Fiscologue 1279 du 20 janvier 2012, ces lignes (prémonitoires ?) : « Quant à la question, de savoir si ce faisant, ils (les comptables et conseils fiscaux) ne vont pas ouvrir la boîte de Pandore, personne ne peut y donner aujourd’hui une réponse sensée ».
[6] Un manquement contractuel d’un expert-comptable ou d’un conseil fiscal serait considéré comme une faute si un débiteur de la même catégorie normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances concrètes, n’avait pas commis ce manquement (Cass.25 octobre 1974, Pas. 1975, p. 263).