Depuis quelques mois, les premières investigations de l’administration fiscale se font à l’égard des dossiers droits d’auteur. Les contrôleurs ont pour première mission de vérifier en ce domaine si l’on est bien en présence d’une œuvre protégée. A défaut, aucune cession de droits d’auteur ne peut être envisagée.
C’est en matière informatique que l’on trouve notamment diverses demandes d’information du fisc.
Ainsi à titre d’illustration, nous reproduisons les termes d’une demande formulée récemment par un bureau de taxation de Bruxelles :
« En ce que concerne les droits d’auteur, il me faut la preuve que la production faite par vous concerne bien des œuvres susceptibles d’être protégées.
Il est à noter qu’il y a des logiciels qui ne sont pas susceptible de protection, il faut donc par type de logiciel que vous avez produit la preuve d’une activité de création, la preuve que votre travail est susceptible de protection. Le service des décisions anticipées a déjà rendu plusieurs décisions en la matière. Ces décisions concernent chaque fois un cas bien spécifique. Il faut bien décrire le type de logiciel ; comment il est fait et quel est langage informatique que vous avez utilisé.
Il faut donc déterminer quelle partie de votre production est susceptible d’être protégée par les droits d’auteurs et quelle partie du chiffre d’affaire est relative à cette production.
Il aurait été plus prudent de soumettre votre convention au Service des décisions anticipées qui aurait pu vous poser ces questions au préalable. »
Avant toutes choses, coupons les ailes à un canard : contrairement au point de vue assez tendancieux du contrôleur, un contribuable n’est nullement obligé de saisir le SDA pour avoir droit au régime des droits d’auteur. Les critères et conditions fixés par ce service doivent être appliqués pour autant qu’on ait fait appel à eux dans le cadre d’une demande officielle de décision anticipée.
Ce sont les règles du Titre 6 du Livre XI Code de Droit Economique (CDE) et les dispositions du droit européen qui sont les seules déterminantes pour savoir si l’on est ou non dans le contexte d’une œuvre protégée et non les directives fixées par le SDA.
Si l’on se réfère à la directive 2009/24/ce du parlement européen et du conseil du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, on notera d’emblée que celle-ci indique que les programmes d’ordinateur sont inscrits au rang des œuvres littéraires et artistiques au sens de la Convention de Berne.
L’article premier de la Directive énonce : « Conformément aux dispositions de la présente directive, les États membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. Les termes « programme d’ordinateur », aux fins de la présente directive, comprennent le matériel de conception préparatoire. La protection prévue par la présente directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur. Un programme d’ordinateur est protégé s’il est original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection »
Le droit d’auteur porte bien entendu sur la création d’un logiciel.
Mais l’œuvre de l’esprit s’exprime ici à différents stades : lors de la création du cahier de charges qui précise les fonctionnalités du logiciel, lors de l’analyse fonctionnelle qui présente les différentes étapes de réalisation du logiciel et lors de l’analyse organique qui vise à forger l’algorithme du programme.
La programmation est aussi visée par la protection des droits d’auteur. A nouveau, tout ce travail de composition nécessite d’être vraiment orignal, ce qui requiert selon la jurisprudence « un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort réside dans une structure individualisée » (Cass. française, 7 mars 1986 Dalloz, 1986 p.405) .
Sur l’étendue de la protection des logiciels, on peut lire sur le portail du SPF Economie :
« Le droit d’auteur couvre les programmes d’ordinateur dans ses différents aspects : code-source, code objet, éléments esthétiques, interfaces, matériel préparatoire, structure du programme, etc.
L’architecture du logiciel, sa structure, son organisation sont protégées également, ainsi que les routines ou les listes de paramètres.
Lee droit d’auteur ne protège pas que le code des logiciels. Il protège également l’ensemble des travaux de conception (dans la mesure où ils sont susceptibles de déboucher ultérieurement sur un programme d’ordinateur). Sont donc protégés les schémas, les organigrammes décrivant tout ou partie de l’architecture du logiciel, les diagrammes de flux, etc.
Par conséquent, copier la structure d’un logiciel dans un autre logiciel est susceptible de constituer une contrefaçon, même si leurs codes sont différents. Cela implique également qu’un logiciel qui est déjà mis en forme, dont l’architecture est suffisamment avancée, est déjà protégé même si le code n’a pas encore été écrit.
De plus, tous les éléments qui relèvent des interfaces-utilisateur, tels que icônes, apparences, écrans des menus, sons, sont également protégés par le droit d’auteur ».
Si l’on établit une synthèse de toutes ces règles :
CE QUI N’EST PAS PROTEGE :
- Ce qui relève des idées et des principes
- Les logiciels qui font l’objet d’un dépôt (en ce cas leur protection est conférée alors par le régime des brevets)
- Les algorithmes qui sont avant tout des formules mathématiques
- Les simples fonctionnalités d’un logiciel (les fonctionnalités relèvent suivant la CJUE du pur domaine des idées)
- Les langages de programmation qui ne présentent aucune originalité
- Les « applets » qui permettent l’animation des pages web (car ils ne sont que des minuscules logiciels dénués d’originalité)
CE QUI EST PROTEGE
- Un manuel d’utilisation d’un logiciel
- L’architecture du logiciel, sa structure, son organisation, ainsi que les routines ou les listes de paramètres.
- Un organigramme car il est directement lié à la composition d’un programme
- Un cahier des charges qui précise les besoins d’un client (s’il est original)
- Un langage de programmation qui représente un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique. Le texte (correspondant à l’œuvre littéraire) du programme d’ordinateur ou du logiciel est ainsi protégeable par le droit d’auteur
- Les interfaces graphiques (écrans, images, vidéos)
- Les diagrammes de flux (flow charts)
- Le titre d’un logiciel
- L’analyse organique qui permet de forger les algorithmes
S’agissant du travail de création informatique, la protection ne se limite donc nullement au code.
Dès lors, face à une position de l’administration fiscale qui chercherait à n’enfermer la notion d’œuvres informatique protégées que dans le seul cadre d’une production d’un langage informatique, il pourra être opposé que la protection juridique des programmes d’ordinateur vise non seulement les programmes d’ordinateur mais aussi tout le matériel et les travaux de conception préparatoire qui permettent la réalisation du programme.
En gardant aussi à l’esprit que tout programme d’ordinateur et tout ce travail préparatoire de conception ne seront protégés que s’ils sont originaux, c’est-à-dire s’ils représentent des créations intellectuelles propres à leur auteur.