Le Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que « les principes généraux de bonne administration comportent le droit à la sécurité juridique et s’imposent aussi à l’administration des finances ; ce droit implique notamment que le citoyen puisse faire confiance aux services publics et compter que ceux-ci observent des règles et suivront une politique bien établie qu’il ne saurait concevoir autrement ».
Ce principe a été appliqué à de multiples reprises à des cas dans lesquels l’administration s’écartait d’une telle attitude, notamment dans les cas où elle tentait de remettre en question un accord avec effet rétroactif. Ce droit à la sécurité juridique, signifie que l’administration est tenue, dans l’exercice de sa mission de service public, de faire en sorte que la croyance légitime des administrés ne puisse être trompée ou du moins frustrée. N’est-il pas naturel que des citoyens puissent savoir à l’avance que qui leur est permis et ce qui ne l’est pas, s’ils peuvent revendiquer ou non telle déduction ou s’ils doivent assumer telle obligation ?
Suivant le Commentaire administratif, les services de taxation ne peuvent dénoncer rétroactivement un tel accord individuel que si le contribuable a obtenu l’accord à partir de données inexactes ou si les circonstances qui ont conduit à l’accord sont modifiées.
Dans un avis du 6 novembre 2014 publié sur son site et intitulée « amendes et accroissements d’impôts pour les fiches fiscales non rentrées », le SPF Finances nous démontre que ces beaux principes sont quelquefois foulés au pied.
En principe, les fiches fiscales (281) et le relevé annuel (325) relatifs aux revenus d’une année doivent être adressée à l’administration pour le 1er mars de l’année suivante. Mais en pratique, de telles fiches sont souvent émises et envoyées quelques mois plus tard, lors de la clôture des bilans et les fonctionnaires du fisc n’y avaient jamais vu ombrage. L’essentiel étant après tout que les revenus soient bien déclarés. En clair, un « gentlemen’s agreement », certes non écrit mais validé par l’absence de sanctions prises, était passé depuis plusieurs années entre les contribuables et le fisc. Ajoutons que certaines informations nécessaires à l’établissement de telles fiches, tels le taux des intérêts fictifs sur compte-courant, ne sont communiquées par l’administration que tardivement, ce qui rend ce délai du 1er mars peu réaliste.
Dans son avis du 6 novembre, l’administration, jouant la veuve effarouchée, constate que 20.000 fiches pour l’année 2014 sont tardives (introduites après le 1er mars 2015) et décide qu’elle infligera d’ici peu aux milliers de débiteurs concernés une amende pouvant aller de 50 EUR à …1.250 EUR !
S’il est parfaitement légitime de la part du fisc d’exiger qu’il soit mis fin pour l’avenir à la tolérance qu’elle a elle-même créée, il n’est pas admissible que cela soit fait de manière rétroactive. Cet avis est en effet bien postérieur à la date du 1er mars 2015, de sorte que les contribuables ne pouvaient bien évidemment pas s’attendre à un tel revirement et au paiement d’amendes auxquels ils n’ont jamais été astreints par le passé.
Nous plaidons pour que ce retour à la tolérance zéro ne concerne que les revenus de 2015 et suivants et non les revenus de 2014. Et encore faudrait-il que l’échéance pour le dépôt des fiches soit fixée au mois de juin et non de mars, pour des raisons évidentes de cohérence.
Il est en tout cas à espérer que ce ne sont pas des considérations budgétaires qui ont présidé à cette nouvelle salve d’amendes, ce qui serait inquiétant. Un Etat de droit, fondé sur le principe de séparation des pouvoirs, ne peut en outre accepter que l’administration se livre à une telle imposition dérivée.