Le concept de « cohérence fiscale »

 En 1992, la Cour de Justice des Communautés européennes eut à se prononcer sur une célèbre affaire concernant notre législation fiscale belge (arrêt Bachmann du 28 janvier 1992, aff. C204/90). Notre pays refusait à un ressortissant allemand de déduire de ses revenus professionnels les primes afférentes aux contrats d’assurance-vie qu’il avait souscrits en Allemagne. Selon notre administration fiscale, la loi belge exigeait en effet que les cotisations soient versées en Belgique.

La Cour de Justice va donner raison à la Belgique au motif que cette « discrimination » peut être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence fiscale du régime fiscal belge, car il convient de maintenir un lien entre la déductibilité des cotisations et l’imposition (à l’issue du contrat) des prestations payées par les assureurs. C’était en 1992… Depuis lors, la Cour de justice semble avoir fait l’abandon de cette théorie de la cohérence fiscale, celle-ci heurtant de manière trop frontale les libertés fondamentales du Traité, notamment le principe de libre circulation (voir notamment l’arrêt Danner du 21 mars 2002 dans lequel la Cour ne suivit pas la position de la Finlande pour une affaire parfaitement similaire à celle de l’arrêt Bachmann).

Est-ce à dire que les contribuables sont désormais à l’abri de toute taxation ou tout rejet de déduction suite à cette évolution de la jurisprudence européenne. Rien n’est moins sûr car la Cour de justice a développé, au fil des années, un autre principe, le principe de territorialité qui permet de justifier certaines discriminations indirectes en matière fiscale. Selon la Cour, l’État dispose en effet sur son territoire une souveraineté fiscale qui l’autorise à pratiquer certaines restrictions (par exemple en matière de limitation à la déduction de pertes fiscales de filiales ou succursales étrangères).  On voit donc que la matière est délicate et que la position de la Cour de justice reste assez instable.

Comme l’écrit avec pertinence le professeur Michel De Wolf, spécialiste de la question, «Qu’elle le dénomme cohérence du système fiscal ou principe de territorialité, la jurisprudence de la Cour de Justice en matière de fiscalité directe aura encore longtemps besoin d’un garde-fou, au sens étymologique du terme».[1]

 


[1] M. De Wolf, « Dialogue et pluralité du droit fiscal », in Liber Amicorum Jacques Malherbe, Bruylant, 2006, p. 373.
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