Nous voici à quelques jours de l’entrée en vigueur de la réforme de l’impôt des sociétés insérée dans la future de loi relative à la relance économique et au renforcement de la cohésion sociale.
Par prudence, nous n’avons pas voulu jusque-là décrire ou commenter la réforme, en l’absence de texte déposé à la Chambre.
C’est désormais chose faite, et à moins de soubresauts ultimes (toujours possibles dans notre pays surréaliste), le projet de loi sera converti en loi-programme et publié d’ici la fin de l’année.
L’occasion pour nous de présenter les mesures de cette réforme.
REDUCTION DES TAUX DE L’IMPÔT DES SOCIÉTÉS
Le taux de base de l’impôt des sociétés passera de 33% à 29% à partir de 2018 et s’élèvera à 25% en 2020.
Pour les PME (art. 15 C. Soc.), le taux réduit progressif passera dès 2018 de 25% à 20% pour la première tranche de 100.000 EUR. On observe aussi la disparition de la condition qui exclut les sociétés du taux réduit lorsqu’elles octroient un dividende qui excède 13% du capital libéré. Quant à la contribution complémentaire de crise qui s’ajoute actuellement au taux de base elle n’est plus en 2018 de 3% mais bien de à 2% et supprimée en 2020.
BASE MINIMUM D’IMPÔT : RÉGIME DIT DE LA « CORBEILLE »
Le projet de loi instaure un impôt minimum pour les sociétés dont la base imposable après application de certaines déductions est supérieure à 1 million EUR.
Le principe est qu’elles ne pourront plus bénéficier intégralement de certaines déductions fiscales au-delà de ce montant.
La déduction des pertes antérieures, la déduction pour revenus d’innovation reportée, la DCR (déduction pour capital à risque) reportée et la DCR incrémentale (voir point 4) seront désormais plafonnées à un montant d’1 million EUR augmentés de 70% des bénéfices après imputation de ce montant d’1 million EUR. Par conséquent, 30% des bénéfices dépassant ce million EUR ne pourront plus être neutralisés par les déductions précitées.
Suite à l’avis n° 62.368/3 du Conseil d’État concernant l’éventuelle limitation de la déduction reportée des RDT, la déduction des RDT de l’année même n’est pas prise en compte pour la corbeille.
Petite consolation : les pertes reportées des sociétés débutantes ne seront pas frappées par cette à cette limitation pour une période de 4 ans après leur constitution.
- LA REGLE DES 45.000 EUR, POUR FREINER LE PASSAGE EN SOCIÉTÉ
En dépit des nombreuses critiques exprimées (notamment de l’UCM et des associations de professionnels du chiffre dont l’OECCBB), le gouvernement a décidé d’adopter la mesure suivante : la rémunération minimale à accorder à au moins un dirigeant d’entreprise passe de 36.000 EUR à 45.000 EUR. Mais si cette rémunération s’avère inférieure à ce montant, il est admis qu’elle soit seulement égale au minimum au résultat imposable de la société. Si un dirigeant gère plusieurs sociétés, la rémunération minimale est plafonnée à 75.000 EUR.
Outre la perte du taux réduit, la sanction pour le non-respect de cette règle des 45.000 EUR est la suivante : une cotisation supplémentaire (heureusement déductible) de 5% pour les exercices d’imposition 2019 et 2020 est prévue et s’appliquera sur le manquant de rémunération par rapport à 45.000 EUR ou par rapport à la moitié de la base d’imposition. Cette cotisation est portée à 10%, dès l’exercice d’imposition 2021. Les sociétés débutantes (constituées dans les quatre ans à compter du 1er janvier de l’exercice d’imposition) échappent à cette cotisation spéciale.
- UN NOUVEAU CALCUL POUR LA DÉDUCTION POUR CAPITAL À RISQUE
Pour déterminer la déduction pour capital à risque, on ne se baser désormais plus sur le stock de capitaux propres de l’exercice précédent. On tiendra compte d’un cinquième du capital (à risque) supplémentaire par rapport au capital à risque de la 5ème période imposable.
On n’applique donc plus la déduction que sur une incrémentation d’une quote-part des augmentations du capital à risque
En se basant sur ce système, le régime de déduction veut éviter certains abus.
- DEDUCTION INTEGRALE DES RDT
Dès 2018, la déduction des RDT (revenus définitivement taxés) est portée à 100%, au lieu de 95%.
- NOUVEAU REGIME DE TAXATION DES PLUS-VALUES SUR ACTIONS
Bonne nouvelle : le taux d’imposition de 0,412% frappant les plus-values sur actions réalisées par les grandes sociétés est supprimé à partir de 2018.
Mauvaise nouvelle : l’exonération des plus-values sur actions est assortie d’une nouvelle condition (dite de participation) et s’aligne désormais sur les conditions du régime RDT. Les plus-values sur actions ne seront exonérées de l’impôt des sociétés que si la participation dans la société cédée est conservée de manière ininterrompue pendant plus d’un an et atteint au moins 10% ou si la valeur d’acquisition des actions est supérieure ou égale à 2.500.000 EUR.
- FRAIS PRÉPAYÉS : ALIGNEMENT SUR LE DROIT COMPTABLE
Le droit comptable applique le « principe de concordance » qui commande, au moment d’établir les comptes, de tenir compte des frais et produits afférents à d’autres exercices, sans considération de la date de leur paiement ou d’encaissement. En pratique, la législation comptable prescrit de reprendre la charge dans la proportion adéquate dans un compte de régularisation d’actif (charge à reporter). Il existe donc une distorsion entre les obligations comptables et les règles fiscales. En vertu d’un principe général, le droit comptable s’impose au droit fiscal, sauf dérogation expresse du droit fiscal.
Dorénavant, le principe de matching s’applique aussi dès 2018 de manière obligatoire dans le domaine fiscal. Il s’ensuit que les frais qui concernent un exercice comptable à venir ne sont déductibles que l’année suivante.
- LIMITATION DES PROVISIONS POUR RISQUES ET CHARGES
Seules les provisions pour charges qui découlent d’une obligation effective à la date de clôture du bilan seront encore exonérées. En d’autres termes, les provisions pour risques et charges ne seront plus admissibles fiscalement que dans la mesure où elles répondent à une obligation définitive à la date du bilan.
+ Mesure anti abus : pour éviter que des provisions soient constituées pour ensuite être reprises lorsque le taux est baissé, il est prévu que la reprise de provisions sera toujours imposée au taux nominal d’application au moment de la constitution de la provision
- TAXATION DES PLUS-VALUES DE REMPLOI
Une mesure anti abus similaire est prévue pour les plus-values de remploi taxées avec étalement (article 47 du CIR).
Ces plus-values taxées en cas de non-réinvestissement dans les délais et conditions prévus légalement ainsi que les plus-values qui dans ce cadre sont rendues spontanément imposables avant la fin du délai de réinvestissement, subiront le taux nominal de l’impôt des sociétés qui était d’application au moment où la plus-value a été réalisée (en plus de l’application des intérêts de retard).
Pas question dès lors d’espérer taxer ces plus-values de remploi à un taux plus bas.
- REDUCTION DE CAPITAL : PRECOMPTE MOBILIER A PAYER
Il a été décidé de modifier les règles applicables aux réductions de capital en obligeant l’actionnaire à passer obligatoirement par la case dividendes et donc à subir le précompte mobilier de 30%.
Deux étapes sont requises pour calculer le précompte mobilier sur les réductions de capital dès 2018.
Dans un premier temps, il faut calculer le coefficient de répartition des remboursements en utilisant la fraction suivante : au numérateur, la somme du capital libéré, des primes d’émission et des parts bénéficiaires assimilées au capital libéré, et au dénominateur, la somme des réserves taxées, des réserves exonérées incorporées au capital et du montant déterminé au numérateur. Le projet de loi précise que certaines réserves taxées et certaines réserves exonérées ne seront pas prise en compte : il s’agira essentiellement de la réserve de liquidation et de la réserve spéciale de liquidation (qui conservent leur régime fiscal propre- c’est la moindre des choses… ), des réserves occultes (tels des excédents d’amortissement par exemple), de la réserve légale à concurrence du minimum légal, des plus-values de de réévaluation ou encore de la réserve indisponible pour actions propres.
Dans un second temps, il faut calculer l’ordre d’imputation du prorata sur le capital libéré et sur les réserves taxées visées par le régime. La disposition légale prévoit l’ordre d’imputation suivant pour les réserves : d’abord sur les réserves taxées incorporées au capital, puis sur les réserves taxées non incorporées au capital et enfin sur les réserves exonérées non incorporées au capital.
- DEDUCTION POUR INVESTISSEMENTS PORTEE A 20%
La déduction pour investissements unique accordée aux PME et aux entreprises unipersonnelles (8% actuellement) sera portée à 20% pour les années 2018 et 2019.
Cette déduction pour investissements n’est pas incluse dans la corbeille de déductions fiscales et ne subit dès lors pas de limitation.
- NOUVELLES SANCTIONS EN CAS DE NON-DEPOT DE LA DECLARATION
Si une société ne dépose pas la déclaration fiscale, on assistera à une hausse des sanctions.
La base minimale d’imposition passe à 34.000 puis 40.000 mais cette hausse est compensée par le la baisse des nouveaux taux de l’impôt des sociétés :
Exercice d’imposition | Base minimale d’imposition ( | Taux | A payer (€) |
2018 | 34.000,00 | 29,58% | 10.057,20 |
2019 | 34.000,00 | 29,58% | 10.057,20 |
2020 | 40.000,00 | 25% | 10.000,00 |
Les accroissements d’impôt seront eux aussi plus sévères :
- Deuxième infraction : 25% (jusqu’à 50.000 EUR)
- Troisième infraction : 50% (jusqu’à 60.000 EUR)
- Quatrième infraction : 100% (jusqu’à 80.000 EUR)
- Cinquième infraction et infractions suivantes : 200% (jusqu’à 200.000 EUR)
- INTÉRÊTS MORATOIRES ET INTÉRÊTS DE RETARD
Le calcul des intérêts moratoires et des intérêts de retard est revu : les intérêts de retard seront supérieurs de 2% aux intérêts moratoires.
- PERTE DU DROIT À DÉDUCTION SUR LES SUPPLÉMENTS CONSÉCUTI À UN CONTRÔLE FISCAL
À l’exception de la déduction des RDT, il ne sera plus permis d’opérer de déductions (telle la déduction des pertes antérieures) sur les suppléments d’impôts infligés à la suite d’un contrôle fiscal.
- EXTENSION AUX BACHELIERS DE LA DISPENSE DU VERSEMENT DU PRÉCOMPTE PROFESSIONNEL
La dispense du versement du précompte professionnel n’est plus réservée aux seuls universitaires : elle s’applique aussi aux porteurs de certains diplômes de bacheliers : biotechnique, sciences industrielles et technologie, sciences nautiques, développement de produits, sciences commerciales et administration des affaires (formation axée sur l’informatique).
La dispense sera de 40% pour 2018 et 2019. À partir de 2020, elle s’élèvera à 80%.
- LA CONSOLIDATION FISCALE
S’inspirant du régime fiscal suédois, la loi introduit à partir de 2019 (exercice d’imposition 2020 un système de consolidation fiscale qui reste toutefois limité.
Le régime est le suivant : toutes les entités d’un même groupe garderont des bases imposables distinctes, mais elles pourront contribuer aux pertes du groupe.
Ainsi une entité du groupe pourra déduire une « cotisation de groupe » de ses bénéfices réservés imposables et cette cotisation de groupe sera imposable dans le chef de la société bénéficiaire durant la même période imposable.
+ Mesure anti abus : les sociétés doivent être liées depuis cinq périodes imposables avant qu’une cotisation de groupe ne soit déductible.
- MODIFICATION DU REGIME TAX SHELTER POUR LES ŒUVRES AUDIOVISUELLES ET L’ART DE LA SCÈNE
Pour « coller » aux nouveaux taux de l’impôt des sociétés, il est apparu nécessaire de procéder à des ajustements du régime fiscal tax shelter pour les œuvres audiovisuelles et l’art de la scène en vue de permettre aux sociétés de conserver le même rendement :
Exercice d’imposition | Exonération provisoire | Exonération définitive |
2018 | 310% de l’investissement | 150% valeur fiscale attestation |
2019 | 356% de l’investissement | 172% valeur fiscale attestation |
2021 | 421% de l’investissement | 203% valeur fiscale attestation |
- NOUVELLES REGLES EN MATIERE D’AMORTISSEMENT
Le régime d’amortissements dégressifs sera supprimé en 2020.
En outre, les PME, comme les grandes entreprises, devront passer au régime de l’amortissement prorata temporis.
- VERSEMENTS ANTICIPÉS
Le taux d’intérêt de base pour les versements anticipés est majoré de 1 % à 3 %.
L’objectif est d’inciter les entreprises à effectuer suffisamment de versements anticipés.
De plus, la majoration d’impôt pour absence de versement anticipé sera toujours maintenue, même pour les sociétés dont la majoration d’impôt est inférieure à 0,5 % de l’impôt sur lequel elle est calculée ou à 50 euros.
- TAXATION AVANTAGEUSE DE CERTAINES RÉSERVES IMMUNISÉES
Les sociétés qui ont au bilan des réserves immunisées pourront, durant une période temporaire de deux ans, les transformer en réserves imposables et bénéficier d’un taux réduit de 15%.
Ce taux sera même réduit à 10% à condition que ce montant soit investi dans :
- Des immobilisations corporelles, autres que celles visées par l’art. 75, 5° du CIR (véhicules particuliers),
- Qui sont amortissables, et
- Qui ne sont pas utilisées à titre de remploi dans le cadre du régime de taxation étalée des plus-values.
Il ne sera pas possible d’imputer des précomptes sur le montant de l’impôt réduit.
Ne pourront pas bénéficier de ce régime les réserves immunisées suivantes :
- Tax shelter pour les œuvres audiovisuelles
- Plus-values imposées de façon étalée
- Plus-values relatives aux véhicules utilitaires et à la navigation intérieure
- Réductions de valeur et provisions exonérées
- Exonération provisoire du bénéfice issu d’un plan de réorganisation ou d’un accord à l’amiable
- Subsides en capital
- Réserve d’investissement dont le délai d’investissement de 3 ans n’est pas encore arrivé à échéance
- Provision pour passif social jusqu’à l’exercice d’imposition 1990 inclus
- Actif net SFS ou sociétés commerciales (art. 184 ancien CIR 1964)
- Exonération du montant de l’actualisation du stock de diamants.
- MODIFICATIONS DANS LES DEPENSES NON ADMISES
Certaines dépenses seront à porter à 100 % dans les dépenses non admises de la société. Ainsi en sera-t-il par exemple des amendes qui étaient auparavant déductibles (ex : amendes TVA proportionnelles) et des commissions secrètes.
Les règles de déductibilité des frais de voiture seront modifiées et une déduction maximale de 100% sera introduite à partir de l’exercice d’imposition 2021.
Le pourcentage de déduction des frais de voiture est adapté comme suit :
- 40% si émission de Co2 > 200gr/km
- Formule : 120 % – (0,5 % x coefficient x gr. Co2)
- Coefficient est : 1 pour véhicules diesel et 0,95 pour véhicules essence
- Le taux ne peut être inférieur à 50 % ni supérieur à 100%
La nouvelle limitation s’applique aussi aux frais de carburant.
Dans le cas où les frais de voiture sont répercutés sur des tiers, la limitation de la déduction sera désormais uniquement applicable dans le chef de ces derniers, et donc pas dans le chef du contribuable qui répercute les frais. Il sera toutefois requis que ces frais soient repris séparément et clairement sur la facture
Pour les véhicules hybrides, on observe une modification du pourcentage de déduction et de détermination de l’ATN. L’ATN résultant de la mise à disposition par l’employeur d’une « fausse hybride » sera calculé abstraction faite de la batterie électrique, et donc avec une émission de CO2 entièrement calculée sur la propulsion par carburant.
S’il n’existe pas de véhicule correspondant pourvu d’un moteur utilisant exclusivement le même carburant, la valeur d’émission est multipliée par 2,5. Ce coefficient de 2,5 est inséré afin de parer au vide juridique potentiel dans le cas où une fausse-hybride ne possèderait pas de véhicule correspondant pourvu d’un moteur utilisant exclusivement le même carburant.
Toutefois, afin de préserver la sécurité juridique, les véhicules hybrides achetés avant le 1er janvier 2018 pourront continuer à bénéficier dans le futur du régime actuellement applicable.
- ET ENFIN, QUELQUES MODIFICATIONS EN MATIERE DE FISCALITE INTERNATIONALE
- Transposition des directives ATAD dans notre arsenal législatif nationale : limitation de la déduction d’intérêt sur les fonds de tiers.
- Introduction de la législation CFC
- Nouvelles règles concernant l’ exit tax.
- Règlement contre les dispositifs hybrides.
- Intensification de la lutte contre la fraude fiscale par une augmentation de échanges d’informations à des fins de transfer pricing et par davantage de contrôles.
- Les pertes définitives d’établissements stables étrangers ne seront déductibles qu’à la condition qu’il soit établi que le contribuable ait préalablement épuisé toutes les possibilités de déduire ces pertes dans le pays où est établi l’établissement stable. La notion d’établissement stable sera modifiée de manière à la rendre plus économique et moins juridique.