La présente chronique vise à dresser un inventaire des moyens dont dispose le fisc pour mieux vous cerner, et donc … mieux vous taxer. Qu’il s’agisse de vos revenus, de vos dépenses, de vos avoirs bancaires ou d’autres éléments qui attestent votre train de vie, le fisc possède un arsenal de techniques visant à vous contrôler en vue de se forger une opinion sur vous. Ces moyens ont été encore renforcés depuis la récente loi-programme publiée fin décembre 2011 (mise en place d’un Point de Contact Central au sein du SPF Finances, nouvelle mesure anti-abus, etc.) A vrai dire, nous ne sommes plus très loin d‘un cadastre des fortunes, ce qui constituerait la dernière étape d’un processus de plus en plus oppressant et que nous ne pouvons que dénoncer.
Première mesure emblématique instaurée il y a déjà un an : la levée du secret bancaire. Depuis le 1er juillet 2001, le fisc est autorisé à éplucher vos extraits de comptes. Bien entendu, il ne peut le faire de manière automatique. Certaines circonstances doivent être réunies pour l’y autoriser. Il faut par exemple qu’un contrôle indiciaire (une taxation par « signes et indices ») ait révélé que vos dépenses de l’année excédaient sensiblement vos revenus déclarés, ce qui peut supposer qu’une partie de vos profits ou bénéfices aient été dissimulés. Le secret bancaire sera également levé dans le cadre d’une enquête pénale. Précisons aussi que le secret bancaire ne joue plus lorsque vous avez introduit une réclamation fiscale, ce qui parfois justifie qu’une telle procédure ne soit pas mise en place de manière précipitée ou pour des montants dérisoires. Rappelons aussi que le secret bancaire ne joue jamais en matière de TVA, de droits d’enregistrement et de droits de succession.
Toujours en matière de comptes bancaires, depuis la loi du 28 décembre 2011, tout établissement bancaire est en outre tenu de communiquer à un Point de Contact central (qui depuis une loi de réparation n’est plus logé au sein de la Banque nationale mais au sein d’un service du SPF Finances) l’identité des clients et les numéros de leurs comptes et de leurs contrats. Cette information ne sera transmise à l’administration fiscale que pour autant que vos revenus mobiliers excèdent 20.020 EUR. Elle ne vise que les revenus perçus depuis le 1er janvier 2012. La seule exception concerne les intérêts et les dividendes qui sont volontairement soumis à une retenue à la source avec la cotisation supplémentaire de 4%. Le montant de ces revenus ne devra être communiqué au Point de Contact central et ne devra pas non plus être mentionne sur la déclaration fiscale à l‘impôt des personnes physiques. La perte de l’anonymat ne vaut donc que si vous refusez l’application de la cotisation de 4%.
Nul n’ignore l’obligation de déclarer l’existence de comptes étrangers, qui est prévue par la loi fiscale. Une nouvelle disposition fiscale vous oblige désormais à mentionner également le numéro de ce (ou de ces) compte(s) étranger(s) sur la formule de déclaration. Cette mesure concerne déjà la déclaration fiscale de l’exercice d’imposition 2012 (revenus de 2011).
En ce qui concerne les revenus professionnels, le fisc dispose bien entendu de vos fiches 281.10, 281.20 ou 281.50 sur lesquelles figurent vos revenus et les avantages de toute nature. Une circulaire administrative publiée en décembre 2011 oblige désormais les contrôleurs à appliquer la taxation au titre de commission secrète (309 %) lorsque des avantages en nature auraient été omis, et ce en dépit du fait que de tels avantages soient toujours susceptibles d’être taxés à l’impôt des personnes physique par le bénéficiaire . Des contrôles seront renforcés en ce sens. En outre on s’attend à davantage de contrôles sur d’éventuels frais privés comptabilisé par les sociétés qui sont autant de commissions secrètes possibles .
Des fiches sont également émises par les organismes assureurs lors du versement de votre capital d’assurance-groupe ou de votre capital constitué grâce à une épargne pension. L’occasion pour le fisc de vérifier que les taxations distinctes (de 10 % à 20% ) sur ces capitaux ont bien été appliquées .
Pour les immeubles que vous auriez à l’étranger, il faut savoir que toutes les conventions préventives de double imposition comprennent une disposition permettant l’échange d’informations en vue de combattre la fraude fiscale. Cette disposition permet l’échange de renseignements entre États en ce qui concerne l’acquisition et la cession de biens immobiliers. Au rang des pays les plus actifs à collaborer avecla Belgiquefigurent l’Espagne mais surtoutla France. Lefisc belge reçoit depuis de nombreuses années du fisc français des extraits d’actes authentiques impliquant des Belges et concernant l’acquisition de biens immobiliers en France. La Belgique reçoit également un CD-ROM recensant l’ensemble des enregistrements de biens immobiliers détenus par des Belges en France. Ceux-ci sont centralisés par l’administration centrale belge qui les transmet ensuite aux bureaux de taxation locaux aux fins de vérification des données au regard des déclarations fiscales. Des accords d’échange de renseignements internationaux existent également avec les Pays-Bas, l’Italie ; la Turquie et l’Ukraine.
Que vous ayez reçu ou consenti une donation, et si celle-ci s’est faite devant notaire, la donation sera automatiquement intégrée dans une base de données dont dispose l’administration de l’enregistrement. Il ne vous reste donc plus qu’à procéder à des dons manuels, si vous souhaitez échapper au regard du fisc, mais avec les risques et les exigences en terme de délai qui sont liées à cette opération. En matière de succession, le receveur ne manquera pas de fournir à son collègue des contributions les éléments qui composent cette succession aux fins de permettre à ce dernier de vérifier si une taxation n’a pas été éludée précédemment par le défunt.
L’administration se penche aujourd’hui de plus en plus sur vos réseaux sociaux (Facebook, eBay, Netlog etc.). C’est l’occasion pur elle de découvrir votre style de vie et la hauteur de vos dépenses. Cette anecdote véridique m’ a été révélée par un ami fonctionnaire : pour épater sa future compagne, un utilisateur de Facebook s’est vanté, sur ce réseau, d’avoir des avoirs importants logés dans un compte d’une banque luxembourgeoise bien connue. La réaction du fisc, comme on pouvait s’y attendre, n’a pas traîné. Le plus piquant est qu’il est apparu par la suite que l’individu n’était qu’un affabulateur ne disposant d’aucun de ces revenus vantés. La modestie et la retenue sont parfois des vertus fiscales à ne pas oublier !
Au rang des nouvelles armes que possède le fisc, n’oublions pas cette nouvelle mesure anti-abus (nouvel article 344 §1er du CIR) qui offre un champ d’investigation et des possibilités de taxation plus larges au fonctionnaire des contributions. Celui-ci peut remettre en question des montages juridiques dont la seule finalité est de diminuer ses impôts. Alors qu’initialement, l’agent taxateur devait opérer une difficile requalification juridique de l’acte posé, il peut désormais se contenter de présumer qu’il y a abus fiscal lorsque l’avantage fiscal obtenu par un contribuable est contraire à l’objectif de la législation fiscale. C’est alors au contribuable à renverser cette présomption en démontrant que des objectifs autres que fiscaux (économiques, familiaux) ont présidé à la réalisation de l’opération qu’il a accomplie. Il reste à espérer, que munis de cette nouvelle arme fiscale, les fonctionnaires sauront en faire un usage correct et modéré. Les dérives « chamaniques » de l’administration sont en effet à craindre.
Notons aussi qu’en ce qui concerne les nouvelles règles en matière de blanchiment et en particulier l’interdiction de paiement en espèces (la vente d’un bien immobilier est par exemple déjà soumise a l’obligation d’acquitter le prix « au moyen d’un virement ou d’un cheque, excepté pour un montant n’excédant pas 10 % du prix de la vente, et pour autant que ce montant ne soit pas supérieur à 15.000 EUR), un nouveau projet de loi-programme étend désormais l’obligation d’information à l’égard de la cellule de traitement des informations financières à tous « les fonctionnaires des services administratifs de l’Etat », y compris donc les fonctionnaires fiscaux.
Signalons enfin, pour clore ce florilège de moyens dont dispose le fisc pour vous épier, que votre propre déclaration fiscale peut elle-même fournir au contrôleur des informations pertinentes. Une rente alimentaire élevée, l’achat de nombreux titres services, des dépenses en matière d’économie d’énergie ou de sécurisation sont autant d’indices qui peuvent révéler l’importance de vos revenus.
Prudence donc, sur tous les fronts !